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.De toutes ces jeunes femmes si brillantes que vous voyez autour de moi, à la cour, il n’en est pas une qui n’ait eu, à votre âge, quelque beau songe d’amour comme le vôtre, qui n’ait formé de ces liens que l’on croit indissolubles, et n’ait fait en secret d’éternels serments.Eh bien, ces songes sont évanouis, ces nœuds rompus, ces serments oubliés ; et pourtant vous les voyez femmes et mères heureuses, entourées des honneurs de leur rang, elles viennent rire et danser tous les soirs… Je devine encore ce que vous voulez me dire… Elles n’aimaient pas autant que vous, n’est-ce pas ? Eh bien, vous vous trompez, ma chère enfant ; elles aimaient autant et ne pleuraient pas moins.Mais c’est ici que je dois vous apprendre à connaître ce grand mystère qui fait votre désespoir, parce que vous ignorez le mal qui vous dévore.Notre existence est double, mon amie : notre vie intérieure, celle de nos sentiments, nous travaille avec violence, tandis que la vie extérieure nous domine malgré nous.On n’est jamais indépendante des hommes, et surtout dans une condition élevée.Seule, on se croit maîtresse de sa destinée ; mais la vue de trois personnes qui surviennent nous rend toutes nos chaînes en nous rappelant notre rang et notre entourage.Que dis-je ? soyez enfermée et livrée à tout ce que les passions vous feront naître de résolutions courageuses et extraordinaires, vous suggéreront de sacrifices merveilleux, il suffira d’un laquais qui viendra vous demander vos ordres pour rompre le charme et vous rappeler votre existence réelle.C’est ce combat entre vos projets et votre position qui vous tue ; vous vous en voulez intérieurement, vous vous faites d’amers reproches.Marie détourna la tête.– Oui, vous vous croyez bien criminelle.Pardonnez-vous, Marie : tous les hommes sont des êtres tellement relatifs et dépendants les uns des autres, que je ne sais si les grandes retraites du monde, que nous voyons quelquefois, ne sont pas faites pour le monde même : le désespoir a sa recherche et la solitude sa coquetterie.On prétend que les plus sombres ermites n’ont pu se retenir de s’informer de ce qu’on disait d’eux.Ce besoin de l’opinion générale est un bien, en ce qu’il combat presque toujours victorieusement ce qu’il y a de déréglé dans notre imagination, et vient à l’aide des devoirs que l’on oublie trop aisément.On éprouve, vous le sentirez, j’espère, en reprenant son sort tel qu’il doit être, après le sacrifice de ce qui détournait de la raison, la satisfaction d’un exilé qui rentre dans sa famille, d’un malade qui revoit le jour et le soleil après une nuit troublée par le cauchemar.C’est ce sentiment d’un être revenu, pour ainsi dire, à son état naturel, qui donne le calme que vous voyez dans bien des yeux qui ont eu leurs larmes aussi ; car il est peu de femmes qui n’aient connu les vôtres.Vous vous trouveriez parjure en renonçant à Cinq-Mars ? Mais rien ne vous lie ; vous vous êtes plus qu’acquittée envers lui en refusant, durant plus de deux années, les mains royales qui vous étaient présentées.Eh ! qu’a-t-il fait, après tout, cet amant si passionné ? Il s’est élevé pour vous atteindre ; mais l’ambition, qui vous semble ici avoir aidé l’amour, ne pourrait-elle pas s’être aidée de lui ? Ce jeune homme me semble être bien profond, bien calme dans ses ruses politiques, bien indépendant dans ses vastes résolutions, dans ses monstrueuses entreprises, pour que je le croie uniquement occupé de sa tendresse.Si vous n’aviez été qu’un moyen au lieu d’un but, que diriez-vous ?– Je l’aimerais encore, répondit Marie.Tant qu’il vivra, je lui appartiendrai, Madame.– Mais tant que je vivrai, moi, dit la Reine avec fermeté, je m’y opposerai.À ces derniers mots, la pluie et la grêle tombèrent sur le balcon avec violence ; la Reine en profita pour quitter brusquement la porte et rentrer dans les appartements, où la duchesse de Chevreuse, Mazarin, Mme de Guéménée et le prince Palatin attendaient depuis un moment.La Reine marcha au-devant d’eux.Marie se plaça dans l’ombre près d’un rideau, afin qu’on ne vît pas la rougeur de ses yeux.Elle ne voulut point d’abord se mêler à la conversation trop enjouée ; cependant quelques mots attirèrent son attention.La Reine montrait à la princesse de Guéménée des diamants qu’elle venait de recevoir de Paris.– Quant à cette couronne, elle ne m’appartient pas, le Roi a voulu la faire préparer pour la future Reine de Pologne ; on ne sait qui ce sera.Puis, se tournant vers le prince Palatin :– Nous vous avons vu passer, prince ; chez qui donc alliez-vous ?– Chez Mlle la duchesse de Rohan, répondit le Polonais.L’insinuant Mazarin, qui profitait de tout pour chercher à deviner les secrets et à se rendre nécessaire par des confidences arrachées, dit en s’approchant de la Reine :– Cela vient à propos quand nous parlions de la couronne de Pologne.Marie, qui écoutait, ne put soutenir ce mot devant elle, et dit à Mme de Guéménée, qui était à ses côtés :– Est-ce que M.de Chabot est roi de Pologne ?La Reine entendit ce mot, et se réjouit de ce léger mouvement d’orgueil [ Pobierz całość w formacie PDF ]
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.De toutes ces jeunes femmes si brillantes que vous voyez autour de moi, à la cour, il n’en est pas une qui n’ait eu, à votre âge, quelque beau songe d’amour comme le vôtre, qui n’ait formé de ces liens que l’on croit indissolubles, et n’ait fait en secret d’éternels serments.Eh bien, ces songes sont évanouis, ces nœuds rompus, ces serments oubliés ; et pourtant vous les voyez femmes et mères heureuses, entourées des honneurs de leur rang, elles viennent rire et danser tous les soirs… Je devine encore ce que vous voulez me dire… Elles n’aimaient pas autant que vous, n’est-ce pas ? Eh bien, vous vous trompez, ma chère enfant ; elles aimaient autant et ne pleuraient pas moins.Mais c’est ici que je dois vous apprendre à connaître ce grand mystère qui fait votre désespoir, parce que vous ignorez le mal qui vous dévore.Notre existence est double, mon amie : notre vie intérieure, celle de nos sentiments, nous travaille avec violence, tandis que la vie extérieure nous domine malgré nous.On n’est jamais indépendante des hommes, et surtout dans une condition élevée.Seule, on se croit maîtresse de sa destinée ; mais la vue de trois personnes qui surviennent nous rend toutes nos chaînes en nous rappelant notre rang et notre entourage.Que dis-je ? soyez enfermée et livrée à tout ce que les passions vous feront naître de résolutions courageuses et extraordinaires, vous suggéreront de sacrifices merveilleux, il suffira d’un laquais qui viendra vous demander vos ordres pour rompre le charme et vous rappeler votre existence réelle.C’est ce combat entre vos projets et votre position qui vous tue ; vous vous en voulez intérieurement, vous vous faites d’amers reproches.Marie détourna la tête.– Oui, vous vous croyez bien criminelle.Pardonnez-vous, Marie : tous les hommes sont des êtres tellement relatifs et dépendants les uns des autres, que je ne sais si les grandes retraites du monde, que nous voyons quelquefois, ne sont pas faites pour le monde même : le désespoir a sa recherche et la solitude sa coquetterie.On prétend que les plus sombres ermites n’ont pu se retenir de s’informer de ce qu’on disait d’eux.Ce besoin de l’opinion générale est un bien, en ce qu’il combat presque toujours victorieusement ce qu’il y a de déréglé dans notre imagination, et vient à l’aide des devoirs que l’on oublie trop aisément.On éprouve, vous le sentirez, j’espère, en reprenant son sort tel qu’il doit être, après le sacrifice de ce qui détournait de la raison, la satisfaction d’un exilé qui rentre dans sa famille, d’un malade qui revoit le jour et le soleil après une nuit troublée par le cauchemar.C’est ce sentiment d’un être revenu, pour ainsi dire, à son état naturel, qui donne le calme que vous voyez dans bien des yeux qui ont eu leurs larmes aussi ; car il est peu de femmes qui n’aient connu les vôtres.Vous vous trouveriez parjure en renonçant à Cinq-Mars ? Mais rien ne vous lie ; vous vous êtes plus qu’acquittée envers lui en refusant, durant plus de deux années, les mains royales qui vous étaient présentées.Eh ! qu’a-t-il fait, après tout, cet amant si passionné ? Il s’est élevé pour vous atteindre ; mais l’ambition, qui vous semble ici avoir aidé l’amour, ne pourrait-elle pas s’être aidée de lui ? Ce jeune homme me semble être bien profond, bien calme dans ses ruses politiques, bien indépendant dans ses vastes résolutions, dans ses monstrueuses entreprises, pour que je le croie uniquement occupé de sa tendresse.Si vous n’aviez été qu’un moyen au lieu d’un but, que diriez-vous ?– Je l’aimerais encore, répondit Marie.Tant qu’il vivra, je lui appartiendrai, Madame.– Mais tant que je vivrai, moi, dit la Reine avec fermeté, je m’y opposerai.À ces derniers mots, la pluie et la grêle tombèrent sur le balcon avec violence ; la Reine en profita pour quitter brusquement la porte et rentrer dans les appartements, où la duchesse de Chevreuse, Mazarin, Mme de Guéménée et le prince Palatin attendaient depuis un moment.La Reine marcha au-devant d’eux.Marie se plaça dans l’ombre près d’un rideau, afin qu’on ne vît pas la rougeur de ses yeux.Elle ne voulut point d’abord se mêler à la conversation trop enjouée ; cependant quelques mots attirèrent son attention.La Reine montrait à la princesse de Guéménée des diamants qu’elle venait de recevoir de Paris.– Quant à cette couronne, elle ne m’appartient pas, le Roi a voulu la faire préparer pour la future Reine de Pologne ; on ne sait qui ce sera.Puis, se tournant vers le prince Palatin :– Nous vous avons vu passer, prince ; chez qui donc alliez-vous ?– Chez Mlle la duchesse de Rohan, répondit le Polonais.L’insinuant Mazarin, qui profitait de tout pour chercher à deviner les secrets et à se rendre nécessaire par des confidences arrachées, dit en s’approchant de la Reine :– Cela vient à propos quand nous parlions de la couronne de Pologne.Marie, qui écoutait, ne put soutenir ce mot devant elle, et dit à Mme de Guéménée, qui était à ses côtés :– Est-ce que M.de Chabot est roi de Pologne ?La Reine entendit ce mot, et se réjouit de ce léger mouvement d’orgueil [ Pobierz całość w formacie PDF ]